David De Coster : Tutti frutti

"A wop bop a loo bob a lop bam bam"
Little Richard (aka Richard Penniman) dans Tutti Frutti.
Et si c'était la plus grande phrase de tous les temps?
Surtout par Elvis qui remplace « bam bam » par « bem boum » !
A moins que ce ne soit « Gabba gabba hey ! », « Hey ho let's go ! » ou même « Do be do be do »…
Mais peu importe.
L'homme se distingue de l' animal par plusieurs traits remarquables. Il paie des impôts, écoute du rock'n' roll, rase les poils de son visage et fait cuire une bonne partie de ses aliments.
Il écoute du rock'n'roll.
Rockänroll est une madone de cuir noir motorisée, filant sur l'autoroute à contresens.
Rockänroll est urgent. Urgent comme une envie de pisser quand on s'est retenu trop longtemps. Et que des larmes de joie coulent en même temps que le reste.
Pisser dans la rivière. Celle qui se jette dans l'océan Rockänroll.
La convulsion sera artistique ou ne sera pas.
Bien sûr, c'est imparfait, mais qu'existe-t-il de parfait ?
Alors, écoutez et ne vous retournez pas.
Théorie : Le rock'n'roll est un art de vivre
Art dangereux, puisqu'art de mourir aussi.
Manifeste : seules les cicatrices que l'on s'inflige soi-même valent la peine.
Et ce dernier mot possède ici tout son sens.
Vivre le rock'n'roll, ça veut dire ne pas avoir besoin d'écouter.
James Dean tendant la main à Natalie Wood sur le bord d'une falaise usée
Signifie plus que tous les disques de Nirvana ou de je ne sais quoi
Alors, hypothèse : Ian Curtis hurlant « decades » en pleine crise d'épilepsie
était le premier d'entre tous
Histoire: nous sommes nés curieusement un jour de 1972
Le premier son que nous entendîmes fut un rôt.
L'iguane inventait « Raw power » et rien ne serait plus jamais pareil
Les premières couleurs que l'on vit furent noir et rouge, elles seraient à nous à tout jamais.
Rockänroll est plus révolutionnaire que la révolution.
Rockänroll baise cinéma, littérature, théâtre, peinture.
Rockänroll ne peut mourir puisqu'il n'est que pur esprit.
Madonne de cuir noir motorisée, filant sur l'autoroute à contresens.
Déclaration : 2008 ne doit pas être une pâle copie de l'année précédente.
Le nouvel âge est déjà là, il n'y a qu'à trouver l'issue.
Il faut faire quelque chose maintenant.
Nous avons passé assez de temps à nous regarder dans les miroirs.
Assez de temps à dire des choses que nous ne pensions pas vraiment en essayant de faire de jolies phrases. Ça ne m'amuse plus. Ça ne peut plus nous amuser. La vie n'est pas ce qu'on nous faisait croire.
Ceux qui nous trouvent ridicules sont si vains.
Ceux qui nous croient puérils sont si vieux.
Nous sommes des boat people et quand la tempête soufflait , nous étions sur les mers.
Alors que peut-il nous arriver ? De quoi devrions-nous avoir peur ?
Il suffit de choisir. Maintenant.
Je me baisse sur le trottoir où brille une étoile argentée, alors je la ramasse et je la jette tout en haut dans le ciel, mais il n'y a plus de bruit.
Je me baisse sur le trottoir où brille une étoile argentée, alors je la ramasse et je la jette tout en haut dans le ciel, mais toujours pas de bruit.

---

La genèse de « Tutti frutti » par David De Coster

Un jour, un journaliste a fait une chronique tiède de notre album « Seconde Peau ». Il y qualifiait notre travail d' électro littéraire. On ne l'a pas pris pour un compliment. On peut faire de l'électro et aimer la littérature, sans pour autant avoir envie de se faire estampiller d'une si bancale appellation. Mais on s'est dit que ce serait plutôt drôle de se laisser prendre au jeu suivant. Pourquoi ne pas être là où on nous attend ? Pourquoi ne pas se mettre à faire ce que d'autres ont décrété qu'on faisait ? On s'est donc attelé à la tâche de la réalisation d'un morceau d'électro littéraire. Au final, il est franchement plus rock&roll qu'électro – et qui s'en plaindra ?

Nathan avait, à ma demande, réalisé un instrumental qui illustrait la dernière virée en bagnole de Jackson Pollock. Ce soundtrack était tellement complet que je peinais à écrire quoi que ce soit qui l'accompagne. Pas moyen de laisser tomber non plus, vu que le morceau me plaisait vraiment beaucoup. On a commencé à le travailler en répétition et j'avais pris quelques bouquins avec des textes que je voulais lire dessus, en attendant de pondre mon texte. Il y avait des trucs de Ferlinghetti, Ginsberg, Lamantia, Bukowski et… Daniel Darc, ancien chanteur de Taxi Girl, à ses heures traducteur de Burroughs et Ferlinghetti, et qui a une prose pas très éloignée de celle des cousins beat.

En fin de compte, c'est un des textes de Daniel qui y collait le mieux ("Lookin' for a Jew - death to music bizz" éditée par le micro-éditeur rouennais "Derrière la salle de bains"). En particulier un passage sur le Tutti Frutti de Little Richard et sur le rock&roll en général. Le reste… bah le reste était littérairement très bien, mais ne collait plus au morceau. J'ai écrit quelques petits trucs autour, mais rien de bien épais ou d'assez dense. Puis, vu que c'est un des leitmotivs du bonhomme Darc, je suis allé glâner tout un tas d'autres textes à lui sur le rock : des notes de pochettes des albums "Sous influence divine" & "Parce que", des notes de pochette du maxi-45t de Taxi Girl "Nous sommes jeunes nous sommes fiers" et une impro vocale sur le morceau "Nijinsky" Après, j'ai fait un cut-up de tout ça.

Au final, ça donne une espèce de pamphlet mythologique sur le rock&roll. Je le lis (vu que c'est vachement long et dur à retenir) et le déclame sur scène. Parfois, j'aboie, je crie ou j'ahane entre deux phrases. En fin de compte, c'est pas si mal, l'électro littéraire.

L'ironie de tout ça, c'est que « Cherchez le garçon », le tube de Taxi Girl était déjà un cut-up entre « Fais pas ta rosière » de Raymond Chandler et un autre polar de John Evans, comme quoi…