Laurent d’Ursel : Art ou démocratie ?

(Texte à hurler)

Il faudra bien un jour oser le dire sereinement, pacifiquement mais fermement et, on l’espère — quand même cet espoir est pieuse rhétorique en ces temps sentimentaux, émotionnels et policiers, ces temps de procès d’intention, de frappes préventives et d’amalgames confortables, où l’on se targue d’être victime, différent ou exclu au lieu de s’en défendre, où toute audace est d’abord suspecte d'insoumission aux diktats de la bienséance, en ces temps sensationnels où les mots remplacent les raisonnements, où un slogan fait office d’analyse, où une impression vaut argument, en ces temps nostalgiques d’un monde chouette, solidaire et humain qui n’a jamais existé, en ces temps frileux, épidermiques et superficiels qui disciplinent la langue et lui imposent de prévenir les malentendus, d’éviter toute vexation, de protester inlassablement de sa bonne foi, en ces temps où la droite pure reste dure tandis que la gauche ramollie, efféminée et indéfectiblement croyante, assistante et gluante remplace la course aux lendemains qui chantent par la traque maccarthiste aux sentiments jamais assez bons, œcuméniques et consensuels, en ces temps où la droite dure reste pure tandis que la gauche navrante confond l’égalité devant la loi et l’équivalence des diplômes, les droits de l'homme et l'amour obligatoire, le pluralisme identitaire et le miroir des différences, en ces temps imbéciles qui ne reconnaissent le pouvoir qu’à l’argent et, dans la foulée, traduisent toute envie en droit légitime, tout besoin en injustice criante, toute inégalité en crime immoral et toute excellence en volonté de pouvoir, en ces temps de pensées uniques qui se tendent, se cabrent et se multiplient en se montrant du doigt, en ces temps archaïques, ultramodernes et moyenâgeux où la relativité est devenue totalitaire, où la vérité n'est plus une excuse et où la réalité n'a qu'à bien se tenir — il faudra le dire, on l’espère néanmoins, une fois pour toutes et sans être aussitôt récupéré, vitupéré, pilorié, sans passer pour réactionnaire, cynique ou élitaire, sans qu’on n'y voie quelque lâche démission ou un défaitisme vengeur, il faudra le dire et la révolution serait justement que le plus grand nombre le dise de concert, il faudra le dire et en tirer les plus ultimes conséquences à commencer par s’en réjouir et pousser un cri de soulagement et s’excuser d’avoir de nouveau cru avec une incroyable assurance qui était l’assurance de se donner bonne conscience, qu’un autre commerce entre les hommes, qu’une autre politique des signes, qu’une autre économie des valeurs étaient souhaitables et dès lors possibles, il faudra un jour pousser l’altruisme et la compassion jusqu’à arrêter de mentir, de berner, de séduire, il faudra un jour rire à en mourir de l’angélisme citoyen, de la convivialité paternaliste et de toutes les grands-messes de la rencontre, il faudra un jour le dire et le pire est d’être tombé si bas qu’il faille tout d’un coup le dire, si bas qu’il faille enfoncer la porte ouverte par tant de culpabilités gratifiantes et abjectes, il faudra un jour fermer définitivement le théâtre de la communion fraternelle, il faudra un jour le dire sereinement, pacifiquement mais fermement, que l’art n’a heureusement rien à voir avec la démocratie.