Alain Bertrand : Jane Birkin
Le jean moule le derrière comme une louche à fromage blanc. On l’imagine ferme à l’époque des chercheurs d’or, tendre et moelleux à Woodstock, coulant depuis l’invention du Mc Do. Le fond de culotte a suivi les courbes de l’affinage: d’abord flottant et pratique, il opéra un touché-collé des parties sensibles jusqu’à déshabiller l’homme et la femme sans qu’il soit besoin d’ôter son pantalon. La sensualité qui s’en dégageait – le jeans couvre désormais les genoux comme si on avait oublié de le remonter après un tour aux toilettes – le vertige même causaient des émois cutanés, des accrochages en ville, des rapprochements inévitablement scabreux, des plongées dans les salles obscures.
James Dean et Marlon Brando musclaient les affiches de cinéma, tandis que Marilyn Monroe flottait dedans comme dans une piscine bleu de Gênes. Vint le temps où, au lieu de le voir sur écran, on enfila le jeans comme une preuve qu’on avait grandi. Le poil moustachait, le blouson noircissait, les boutons évitaient de spéculer plus avant que la braguette. Le monde avait des rondeurs de fesse en goutte d’eau, et il n’était pas un pas derrière une femme qui ne modifiât le galbe du trottoir. On en revenait à la toile de tente, au fromage de chèvre, et on s’affalait sans craindre de se mouiller ailleurs qu’à la bouche des filles.
Pour le reste, ça causait le matin, l’après-midi, et même au dessert.
Et après ? Le moulage figeait si bien la matière qu’arracher le jean, c’était comme enlever la croûte d’un camembert. En sorte qu’on dormait dedans, fuselés et rivetés, jusqu’à la mue d’été: le jeans devint une seconde peau, à l’image du ciel.
Cette évolution, que n’aurait pas renié un paléontologue, dota l’espèce humaine de pattes d’éléphant. Il fut question, brièvement, de changer le monde. Le passage du pantalon étréci au pantalon flottant ouvrait la voie à la chute de reins et de jean. Que faire quand le pantalon tombe tout seul ? Remonter les bretelles rappelait les misères de la grande crise de 29 ; dès lors, on conçut de baisser sa culotte le plus souvent possible et de ne la remonter qu’en cas de coup dur, soit pour lancer quelque slogan, quelque pavé, quelque rockeur.
On voyagea pour découvrir des fromages népalais. On improvisa des paradis artificiels à Katmandou. A Amsterdam, on dissimulait les plaisirs fumigènes dans les roues de Gouda. C’était le temps des seins menus et des douceurs sur canapé. La fermeture ouverte depuis l’éclair du nombril, le tee-shirt blanc, Jane Birkin improvisait des cambrures à l’anglaise. Il s’en suivit une mode pour la chanson lascive et l’ostéopathie.
On rêvait de faire l’amour avec son corps à elle.
On le faisait, mais uniquement avec le sien.