Laurence Soetens : Serial-Killer

Monsieur Blanc avait le cerveau d’un fish stick Igloo et un sens de l’humour qui échappait à tout le monde sauf à Madame Blanc, qui en vraie éponge, disait tout le temps: «mon homme est tellement drôle que le truc que j’ai le plus peur dans la vie c’est de me tordre de rire et de pisser dans ma culotte».

Lorsqu’il devint clair que la grossesse de Madame Blanc était due à autre chose qu’aux quinze cannettes Heineken 50 centilitres et aux quatre family pack Lay’s goût paprika qu’elle s’enfilait tous les jours, Monsieur Blanc décida de profiter de l’événement tragique -ils n’avaient pas les moyens d’élever un enfant- pour matérialiser une de ses blagues préférées: «il y a de la graine de star là-dedans, disait-il en se tenant vigoureusement le paquet, si j’ai un fils, il s’appellera Michel, Michel Blanc.»

Chaque fois que Madame Blanc changeait les couches de l’enfant, elle pensait à l’acteur, se marrait et se serrait les cuisses: «Roh! Michel-Blanc a fait caca dans sa culotte!». Avec l’âge, et parce que les blagues les meilleures sont les plus courtes, Monsieur Blanc s’énervait de plus en plus souvent et gueulait à tout bout de champ: «Michel Blanc ici,viens prendre ta claque!».

Le pauvre enfant crut pendant longtemps que Michel-Blanc était son prénom. Avec ses camarades d’école, ça se terminait toujours par des taches de sang sur son t-shirt DÉCATHLON A FOND LA FORME. Les autres enfants le traitaient de «menteur! c’est quoi ton vrai nom?» ou «d’espèce de crétin, tu lui ressembles pas du tout!»

Lorsque Michel fit une fugue à 16 ans, ses parents n’entreprirent aucune recherche. A leurs voisins, étonnés de ne plus croiser l’adolescent, ils dirent: «Michel-Blanc? Ha oui, elle était bien bonne celle-là!»

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Le jeune Michel fit du stop. Il était bien décidé à suivre la première personne qui ne ferait aucune réflexion sur son nom. Le type en question était belge, un flamand qui parlait avec des fautes de français. A peine installé dans la voiture, Michel lui fit passer le test: «Bonjour, moi, c’est Michel Blanc»
- Salut, je suis Geert. Tu vas où?
Geert était ultra cool, il le tutoyait, alors Michel en a fit autant:
- Et toi?
- A Bruxelles

Michel expliqua qu’il se barrait de France parce qu’il en avait marre des expériences merdiques. Il espérait qu’en Belgique ce serait différent. Geert le rassura: «Les belges sont pas du tout star system, tu verras, tu peux t’appeler Michel Blanc, Michel Noir, mettre un perruque et dire que tu es Michelle Pfeiffer en traversant la Grand-Place, tout le monde va s’en foutre comme de l’avis du Roi».

A Bruxelles, Geert, qui était photographe, lui offrit un job d’assistant. Michel fut surpris de se faire rapidement des paquets d’amis qu’il perdit comme s’il avait des trous dans les poches. Il faut dire qu’en plus de pomper l’air avec son homonyme célèbre, le jeune homme s’avéra être aussi décevant qu’un fût de bière vide en début de soirée.

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Michel en voulait à ses parents, à Michel Blanc, à Bruxelles et au monde entier. 
Le psy, qu’il rencontra dans un café et qui faisait de la Gestalt thérapie, lui expliqua que tout dépendait de lui, qu’il fallait qu’il fomente un projet, quelque chose de personnel, que le point de départ commençait « ici et maintenant », que le passé c’était le passé, les parents les parents, un nom un nom et que personne ne pouvait rien y changer. 
«Peut-être qu’il serait intéressant que tu prennes contact avec un autre Michel Blanc, quelqu’un qui vit la même chose que toi et qui pourrait te comprendre » avait-il suggéré en recommandant une Vedett.
Que d’autres Michel Blanc puissent exister dépassait l’entendement de Michel. En rentrant chez lui ce soir là, il introduisit son nom et son prénom sur le site d’un annuaire français. Le moteur de recherche lui balança 616 réponses avec des adresses dans toute la France. La nouvelle le mit KO. Il n’était plus rien, plus personne, on lui avait piqué son nom, son identité, sa particularité. Michel ne mangea plus, ne dormit plus, il passait tout son temps sur internet à étudier, dessiner, recopier, analyser, comparer, essayer de comprendre. Il pensait à son inexistence, à son blog introuvable référencé à la 53ème page sur Google, à son adresse mail de merde, et il lui vint douloureusement à l’esprit que mclblnc42@yahoo.fr signifiait, qu’avant lui, 41 autres Michel Blanc avaient eu la même super bonne idée de sacrifier les voyelles de leur nom. Il imprima les photos des 424 Michel Blanc trouvés sur Facebook (la plupart étaient chauves) et les 616 adresses de l’annuaire qu’il rangea dans un gros classeur à anneaux sur lequel il grava une tête de mort.

Une nuit d’insomnie, Michel fouilla son appart, retrouva la clé de la maison de ses parents, la fourra dans la poche avant de son jeans, fit sa valise et quitta Bruxelles.

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Le papy conduisait aussi lentement que s’il se dirigeait vers une mort certaine. A son rythme cardiaque et à la fréquence des fuites urinaires qu’il devait colmater dans les toilettes des aires de repos de l’autoroute, ils en avaient pour des années avant d’atteindre le sud.
Dès le départ, le vieux avait été désagréable: «Michel Blanc, quelle drôle d’idée! Moi je t’aurais appelé Gérard Philippe».
Michel aurait bien voulu lui élaguer sa tête de vieille branche et, dans la foulée, débiter le millier de connards qui lui pourrissaient les racines. Cette idée lui procura une jouissance extrême, un peu comme quand il dévorait 500 grammes de Côte d’Or pour calmer une attaque de munchies. Ses idées de meurtre et de violence firent leur chemin sur l’autoroute du sud. Son projet personnel devint transparent comme une boule de cristal : il allait devenir serial-killer ! Il pensait à la notoriété du truc, aux articles de presse, à son blog-réalité qui allait googler en première position et pilonner l’autre bouffon d’acteur. Pour la première fois de sa vie, Michel se sentit léger et heureux, il ressentit une sorte de quiétude, un parfum de réussite qui fut soudain submergé par une intense puanteur d’ammoniac.
«Merde! Je pige pas, tu pisses puis tu vas aux chiottes, c’est pas possible, ta cage, elle pique aux yeux, on n’avance pas, j’ai l’impression d’être une putain de tortue de mer qui patauge dans les égouts».
Michel divagua comme s’il avait sniffé un sauna d’éther. Il parlait confusément de sang, de chocolat, de vengeance, de photos et de meurtre. Quand il dit «Merde, la bagnole de mes vieux ! Ils sont là ! Oké, c’est bon lâche moi ici», le vieux enfonça la pédale du frein, se pencha au-dessus de son passager, tira la poignée de porte, poussa Michel sur le trottoir et démarra sur des chapeaux de roue. « Ce type, Michel Blanc, il ressemblait à Gérard Philippe: un dingue ! A un moment j’ai bien cru que j’allais y passer », dira-t-il plus tard à la police.

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Monsieur et Madame Blanc étaient dans un profond coma éthylique. A les voir tous les deux abattus dans le fauteuil en skaï vert bouteille, le fils se dit qu’il s’occuperait d’eux plus tard. Il installa son QG dans sa chambre d’enfant, vira tout ce qui traînait sur son petit bureau, y déposa son lourd classeur et accrocha au mur une carte de France dans laquelle il enfonça des centaines d’aiguilles aussi précisément qu’un acupuncteur sur les points de douleur. Il allait procéder région par région. 65 Michel Blanc pour le seul département du Var, c’était aussi dingue que l’épidémie de chikungunya sur l’Île de la Réunion. Michel prit sa liste, téléphona, barra des adresses et retira 13 épingles du jeu. Pour mener son projet à bien il lui fallait un ordinateur, une connexion internet et un appareil photo. Après s’être rafraîchi dans la salle de bain, il retourna dans le salon, poussa son père qui était lourd comme une pierre tombale, s’empara de son portefeuille, en sortit une carte de banque et un petit répertoire téléphonique. Il savait que son père avait astucieusement cryptographié son code secret dans les quatre derniers chiffres du numéro de téléphone de « Monsieur Flouze ».

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En consultant des sites comme tueursensérie.org ou horreur.net, Michel avait pris des notes sur les obligations d’un tueur en série :

 

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Michel Blanc avait aussi pensé à l’organisation générale de son travail :

- Une victime par semaine, le suivre dans ses déplacements, prendre des photos de lui dans sa vie quotidienne
- Le tuer en fin de semaine, le vendredi, et profiter du we pour organiser la mise en scène de la mort. Photos super gore avec beaucoup de sang, des giclures et des organes qui sortent partout
- Faire une interview du gars (?)
- Publication hebdomadaire sur le net, tous les dimanches
- Penser à faire des communiqués de presse

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Michel était content de sa première journée de planque. Il devait avoir une bonne centaine de photos de la victime. C’était trop, mais il ferait le tri plus tard. Dans sa chambre, il examina la carte de France, se dirigea vers son Mac, ouvrit iphoto, vida son appareil, s’allongea sur son petit lit et s’endormit profondément. Une sonnerie le réveilla. Il se leva dans le noir, se dirigea jusqu’au petit bureau, tâtonna à l’aveugle, mit la main sur son téléphone portable qui s’éclaira : il était 3h30 du matin ! Il se gratta la tête, se rallongea, entendit la même sonnerie, reconnu la porte d’entrée et, en se levant, fut prit d’une douloureuse crampe au ventre : il crevait la dalle, putain, il n’avait rien mangé de toute la journée. Dans le salon, il prit les Lay’s goût paprika éventé sur la table basse, se demanda si finalement ses vieux n’étaient pas mort, plongea la main jusqu’au coude dans le family pack, en sortit une grosse poignée orange qu’il porta à la bouche avant d’ouvrir la porte.

Devant lui, une ombre dit:
«Bonjour, vous êtes Michel Blanc?».
Comme il avait a bouche pleine, il fit oui de la tête
- Moi aussi, vous permettez?
Sans attendre la réponse, l’homme entra, fit tomber une grosse enveloppe par terre et dit d’une voix assurée:
- Prenez-là, elle est pour vous !

En se baissant pour la ramasser, Michel reçu un choc violent sur la tête. Il tomba sur les genoux, tenta de se relever lorsque quelque chose de lourd mais de pas trop encombrant s’abattit à nouveau sur son crâne.

Michel Blanc perdit connaissance.