Antoine Boute : Conférence pour mon livre POST CREVETTE (1/2)

Voilà, je vais raconter une anecdote qui s’est passée près de chez moi. Attention, c’est ultra gore tenez-vous bien. C’est un truc qui s’est passé il y a un an environ, les journaux locaux ont abondamment causé de ça, moi ça m’a fasciné cette histoire.

Alors si on retrace la chronologie des événements, au départ ce qui s’est passé c’est qu’est arrivé sur la table d’un couple d’éditeurs belges expérimentaux complètement barrés un manuscrit. Ou plutôt un paquet de feuilles crasseuses, vraiment un paquet crado à crever, je crois même qu’il y avait du sang menstruel dessus, vraiment un truc on le voit on a l’impression que ça sort d’un trou à rat.

Le manuscrit sort de son trou à rat, arrive chez les éditeurs complètement barrés et là ils se rendent compte qu’il s’agit d’un texte complètement barré, écrit à la rien à foutre, qui plaque à grosses louches des purée de mots à la va-comme-je-te-pousse pendant plus ou moins cent-vingt pages. Les éditeurs lisent et ce qui se passe c’est qu’ils flashent complètement sur le caractère à la fois ultra sexuel, très pudique et complètement amoral du bouquin. Les éditeurs essaient de trouver un numéro de téléphone où appeler l’auteur pour discuter avec lui, mais pas d’abonné à l’adresse indiquée au dos de l’enveloppe.

Finalement ils décident de se pointer à l’adresse indiquée, située en Belgique, pas loin de chez moi. Là ça commence à se corser légèrement puisque problème, à l’adresse indiquée il n’y a qu’une boîte aux lettres sur un piquet, dans un lieu bizarre : chemin en terre qui traverse une zone de serres puis de champs, pour arriver en bordure d’une forêt, forêt qui relie mon village à la ville de Bruxelles. Là, il y a une série de terrains privés, certains grillagés et bien clos, bien clôturés, contenant par exemple des potagers, des jardins ouvriers etc, à côté d’autres laissés à l’abandon, comme par exemple celui dans lequel est planté la boîte aux lettres en question.

"La grande class' !", se disent les éditeurs, "enfin de l’action".

Ils pénètrent dans la zone privée laissée à l’abandon dans laquelle est plantée la boîte aux lettres, ils ouvrent la boîte par curiosité. Dedans : une lettre ou deux au nom de l’auteur, trois ou quatre au nom de quelqu’un d’autre (une certaine Ariane Bart). Tout va bien, ils sont sur la bonne voie.

Ils pénètrent plus avant dans la zone, lèvent haut les jambes à cause des ronces et des orties, orties et ronces qui poussent d’ailleurs sur des tas de saloperies, toutes sortes de saloperies sans nom : sacs plastique, morceaux de tuile, photos, draps, vêtements, jouets, poupées, dias, bouteilles de champagne, n’importe quoi, le tout occupé tranquillement à pourrir et à se faire manger par la mousse.

Ciel complètement gris, fine pluie, vent chaud, class' totale question électricité dans l’air. L’éditeur mâle dit à l’éditeur femelle que cette situation lui donne des émotions sexuelles. Ils décident de se décharger un peu plus loin, dès qu’ils trouveront un endroit propice où s’installer peinard.

C’est la fin de l’après-midi. Ils se paument dans la forêt située juste derrière la zone de la boîte aux lettres. Ils se paument tellement que ça les fait rire. Le mec décide d’ouvrir la flasque de whisky qu’il a dans la poche de son imper'. Sa femme en boit aussi, ça les rend bien joyeux, même quand ils glissent à cause de la pluie, tombent dans des trous et se salopent complètement les vêtements.

Finalement le soir tombe et ils aperçoivent des lumières un peu plus loin, à travers les arbres de la forêt. "Ouf" se disent-ils, "sauvés, on va retrouver le monde civilisé !". Or pas du tout puisqu’il s’agit en fait de tout un réseau de prostitution clandestin installé là dans la forêt ! En effet ils s’avancent vers la lumière et découvrent que des bagnoles passent sur des chemins en forêt, avec dans les sous-bois des feux allumés par des filles et des garçons prostitués.

Ils décident de faire ami-ami avec ces gens, enfin tant qu’il est possible de le faire vu les circonstances – ils sont tout de même au boulot, tous ces gens – la soirée passe, la nuit aussi, ça devient vraiment bien.

En effet les deux membres du couple d’éditeurs finit par se perdre de vue, chacun en profite pour se payer un être humain à son goût et vers les quatre heures du matin il arrête de pleuvoir.

A ce moment-là tout ce beau monde commence à être fatigué, les clients se font rares, c’est l’heure où on rentre se coucher. Les éditeurs ont tellement sympathisé avec ces filles et ces garçons qu’ils sont invités à aller pieuter avec eux un peu plus loin, dans une sorte de gigantesque hangar super bien aménagé, un hangar d’une ancienne ferme.

Sur le chemin du retour ils expliquent qu’ils sont un groupuscule de prostitués anarcho-autonomes en fait, qu’ils n’ont de comptes à rendre à personne, qu’ils s’auto-gèrent, que c’est pour ça qu’ils bossent ici, dans cette forêt, et pas en ville.

Ils expliquent qu’ils ont un deal avec les gestionnaires et propriétaires du lieu, des gens vraiment très bien, très clean, qui d’ailleurs se prostituent également ici mais pas tous les jours. Avec un peu de chance, les éditeurs les verront tout à l’heure, au hangar.

Evidemment tout le monde voit arriver l’affaire, les gestionnaires du lieu c’est moi et ma sœur Ariane. On arrive à travers la pluie qui avait recommencé à tomber, on arrive de la ville en fait, vers les cinq heures du matin, avec plein de ravitaillement pour tout le monde.

On avait déjà pas mal picolé en route, ça s’est pas arrangé par la suite. Du coup bang, j’ai avoué sans trop de problèmes que c’était moi qui avait écrit ce manuscrit et leur avait envoyé. J’ai expliqué toute l’affaire, du même coup.

Je leur explique que nous – moi et ma soeur Ariane – dans la vie à la fois on a pas eu de chance et en même temps quand même finalement on s’en sort pas trop mal. Les éditeurs confirment volontiers qu’en effet à la lecture du manuscrit crado nommé POST CREVETTE on peut constater qu’on a pas eu de chance dans la vie, ce que les journaux locaux ont d’ailleurs confirmé volontiers aussi vous allez voir pourquoi.

En fait POST CREVETTE raconte de très loin, de façon très pudique mais quand même avec un maximum de précision dans le détail – c’est toute la poésie du livre en fait, arriver à sculpter dans le détail des scènes pas possibles, le tout à l’aide de grosses louches de purée de mots plaquées à la va-comme-je-te-pousse – le livre donc raconte les faits qui ont mené à notre naissance à Ariane et à moi.


Pour lire la seconde partie de Conférence pour mon livre POST CREVETTE, rendez-vous sur le blog d'Antoine Boute.

> Cette conférence a été prononcée par Antoine Boute à l'occasion de la parution de POST CREVETTE aux éditions de l'Ane qui butine. Le livre comprend 7 encres noires de Christoph Bruneel.