La moiteur aigre des aisselles. Je transpire. Putain, qu’est-ce que je transpire. De vastes auréoles. Ma chemise repassée à la va-vite. Le col qui serre. Je me demande s’il a remarqué. S’il a senti. L’odeur du stress. De l’angoisse. De ces putains de douleurs inexpliquées qui me vrillent les pensées.
Le gars du Pôle emploi me regarde. Avec son sourire sous cellophane comme un bout de viande avarié. À moins que ce ne soit un employeur. À moins que ce ne soit le médecin. Je ne sais plus.
Docteur, j’ai des hallucinations, je me sens un peu perdu. Et puis je transpire beaucoup.
Ça ressemble à ces moments de flottement. Comme lorsqu’on se réveille sans reconnaître l’endroit où on se trouve. Il faut réassembler les pièces du puzzle. Méthodiquement. Alors j’assemble. J’ajoute. Deux et deux. Me plie en quatre pour rentrer dans le moule. Mais je déborde. Je fuis. Je transpire.
"Vous êtes nerveux ?" me demande le médecin. À moins que ce ne soit un gars du Pôle emploi. Un employeur. Non, bien sûr que non. Je n’ai aucune raison d’être nerveux.
Faut que je trouve un job.
Faut pas que je perde mes indemnités.
Faut que je fasse renouveler mon ordonnance.
Faut que j’appelle Maman. Mais elle va encore pleurer. Elle aura forcément des raisons de pleurer. Avant, je voulais qu’elle soit fière de moi. Maintenant, j’essaye juste d’éviter de la faire chialer. Faut que je trouve un emploi !
Alors je balance au gars le Top Ten de mes qualités. Je bombe le torse. Je lui explique que je suis le meilleur pour ce boulot. J’essaye d’avoir l’air convaincu, sérieux, digne, humain, normal.
"C’est pas à moi qu’il faut dire ça" ricane le type.
Merde, j’ai mal assemblé les morceaux. Lui c’est le gars du Pôle emploi.
Pourtant, il a une gueule d’employeur. Pourtant il a un pull de docteur.
Il me faut ces foutus cachets.
Je transpire.
"Pourquoi vous êtes nerveux comme ça ?" il me demande.
Je ne suis pas nerveux. Du tout.
Son sourire en coin. Putain ! Son air de se payer ma tête.
Il se lève et va ouvrir la fenêtre. Il revient s’asseoir. Imprime une offre d’emploi. Avant de me la tendre, il s’évente avec la feuille. Je remarque sa petite grimace.
"Dites-le si je pue !"
"Oui monsieur, vous sentez mauvais. Faut pas aller aux entretiens d’embauche dans cet état, vous savez", il ajoute. Et il refait sa petite grimace.
"Je suis pas à un entretien d’embauche là, alors faites pas chier !"
"Oh, on se calme", il me lance. "La prochaine fois, pensez à prendre une douche avant de venir. C’est tout."
Comme si je me lavais pas, putain ! C’est juste le stress. Les emmerdes. La maladie, les cachetons, le monde qui me fout les jetons. Je transpire l’angoisse. Je déborde d’angoisse. Il est capable de comprendre ça ce connard ?
"Connard !", je lui dis. Comme ça, bêtement. Sous le coup de la colère. De la vexation. Qu’est-ce que j’en sais ? Et l’autre, illico, il grimpe sur ses grands chevaux. Il se met à hurler que j’ai pas le droit de l’insulter, qu’on va voir ce qu’on va voir, ça se passera pas comme ça, qu'il est pas payé pour recevoir des gens qui l’injurient et qui puent par-dessus le marché, qu’il va en référer à, prendre les mesure qui.
Il débite, il débite. Et moi je lui balance le clavier en travers de la gueule. Pas vraiment méchamment. Juste pour le faire taire. Mais le gars du bureau d’à côté débarque. "J’ai prévenu la sécurité ! J’ai appelé la police !", il dit.
Ils me foutent le grappin dessus. S'y mettent à trois pour m’immobiliser alors que j'oppose pas la moindre résistance. J'ai jamais su me battre. Ils me traînent dans une petite salle en répétant que trop c’est trop ! Que j’ai dépassé les bornes. Que je suis radié, bien entendu, ah ah on fait moins le malin maintenant, hein !
Les flics arrivent. Ils vont m’amener au poste.
Faudra que j’appelle Maman.
Elle va encore chialer...