Andy Vérol : Rythmique de l’immobile

N’oublie pas le texte que tu as rangé dans « mes textes », que tu n’as pas publié sur ton site.

N’oublie pas de regarder les statistiques, connaître le nombre de crétins qui ont tapé « baiser ma mère » ou « sale pute avec un rouleau dans le cul » sur Google, pour débarquer sur mon blog.

Détaille chaque instant de ta vie, sauf tout ce que tu ne veux pas éditer sur ta vie. A savoir tout.

Ecris donc sur les bagnoles, les courses d’escrime, les sauts à l’élastoc, les trucs, les plafs…

Depuis deux jours, tu zonais dans les larmes, les insomnies et les compèt’ de Poker aux Caraïbes.

7h10 : Pile, la sonnerie douce de mon Smartphone me réveille… Poker Channel chie encore des parties sur l’écran de l’ordinateur…  N’oublie pas de défragmenter ta bécane. N’oublie pas de mettre le café à couler avant d’aller te doucher. N’oublie pas d’écouter France Info pour la météo. N’oublie pas d’arrêter de culpabiliser, arrête d’être la fusion entre Lautréamont et Aliquante, le cureton du village d’enfance… Ses doigts dans mon slip pendant que Coluche passe à Drucker. « Gérrrrarrd ! ». Aliquante et l’écran bombé de sa télé en noir et blanc. N’oublie pas d’écrire toutes tes pensées, et même les pires dans le carnet coincé entre portefeuilles et chéquier dans ton sac en bandoulière, bombé. Baffes.

7h14 : La gaule s’estompe, le présentateur journaliste s’attarde sur les derniers privilèges de nos monarques élus… N’oublie pas que les citoyens oublient. N’oublie pas qu’ils iront voter encore pour être déçus. Les draps sentent encore le tabac. Oublie les patchs, oublie que ce soir le match te privera de ton émission préférée.

7h16 : Stylo tenu comme un chibre mou, je cherche l’inspiration. Ne tourne pas en boucle, sors toi la culpabilité, les remords et les regrets de ta grosse tête… N’oublie pas d’envoyer ton roman à ceux qui ont payé. N’oublie pas d’aller chercher le carton de livres que l’éditeur t’a envoyé à la bourre. Bois un café, cesse de stresser. Evite soigneusement les amis pour ne pas leur rabattre les écoutilles avec ton lamentable quotidien. N’oublie pas d’écrire, ne faire que ça jusqu’à mourir. Les deux pieds nus sur le sol qui colle à la bière séchée, renversée, bourré, au point de ne plus me rappeler la bascule, l’instant où l’ivresse t’encule l’esprit, précipite ta pouf’ d’âme coupable sur le toboggan vertigineux de la rage, de l’auto-ravage, du chaos relationnel… Tension artérielle ascensionnelle, n’oublie pas qu’il y a l’aspirine contre le sang qui comprime les veines de ton front. Ne fonds pas. Fais semblant devant la boulangère, au téléphone. Mais reprends-toi, ne te détruis pas, arrête l’alcool, les clopes, les crises et les heures à reluquer des parties de Poker en amerloque, loque transpirante dans tes draps traquenards.

7h21 : Essaie de ne pas t’angoisser. Oublie la nicotine. Oublie les membres qui tremblent. Pense au Lucky Luke que tu termineras ce soir. Pense aux pays émergents, oublie ton continent, le réchauffement climatique, le chômage de masse. Ecris. Ne criminalise pas tes sentiments, le brouillon de tes sentiments, les mauvais choix, les bons choix. Un jour blanc, un jour noir. Et le gris des souvenirs. Il me semble que le papier-peint était vert. Des petites fleurs vertes. C’est idiot. Ça n’existe pas les fleurs vertes. Les feuilles oui, mais les fleurs non. Il me semble, je n’ai pas regardé tous les docus sur France 5. Odeur de tabac. Essaie de ne plus mater Poker Channel. Relis des trucs de gauche. Recommence à rêver de tout péter. Tu n’y arriveras pas.

7h22 : Car le percolateur se vide toujours à l’heure. Double dosette de café. « Classique », prix Auchan. Gym saindoux. Les rebeus parfument trop la chair des poulets grillés, ça accentue l’odeur de la merde… Comme bouffer des aiglons rôtis parsemés de daube. Oublie. Fais un sport. Si tu ne fais pas un sport, fais la guerre. Si tu ne fais pas la guerre, va chiner, ou mets-toi aux hold-up… Un truc du genre. Plutôt que geindre, te penser en prison dans cette vie solitaire, cette ville calvaire, cet immeuble fait de pouilleux pathétiques qui produisent du gosse, de la poussette et des effluves d’oignons frits. Oublie tes préjugés, va dans l’armoire et sors le flingue de sa boîte. Il brille, il en jette, il se la pète avec son chien et sa gâchette. Gâche une vie pour sauver ta vie. Evite d’écrire, évite de penser à Vlad, Malik, Aliquante ou tata. Charge-le de bastos et descends dans la rue. Les flics roupillent au commissariat, c’est ça… Pour sortir de ta vie-taule, il faut que tu vires en zonzon, avec les matons, les méchants, les gentils sous pression. Fais-le en peignoir comme ça on te reconnaîtra « taré », au moins passager, pour finir quelques mois en HP. Tu auras une chambre, des messieurs et des dames qui reconnaîtront que tu es gentil. Plus de comptes à rendre à tata, à Noël, avec les fous, tu feras des sketchs. Comme ils seront fous, ils ne sauront pas que tu as pompé des sketchs à la télé… qu’elle soit en noir ou blanc ou en HD 3D, la télé aura une nouvelle saveur qui pimentera l’ennui.

7h28 : Après avoir cagué, Smartphone dans la main, phrase d’humeur sur Facebook : « Me faites pas caguer les poulets »… Oublie que tu dois te presser. France Info gueule. Tu t’ennuies parce que tu n’as pas de demain. Oublie la peau sèche qui humilie ton front. Achète des savons de qualité supérieure, mets des crèmes. Non ne va pas te re-pieuter, dynamise-toi… La bise à toi au miroir : « Non j’me suis pas planté ! ». Hésitation entre le cerveau et la bite, entre le corps et l’esprit. Oublie la nicotine, douche-toi l’eau bouillante, savonne-toi le gel mousse sur ta peau… La lave et l’assèche.

7h34 : Sous la douche, évite de penser. C’est ridicule comme une meuf qui veut rouler des pelles à Vérol dans un cimetière, parce que c’est l’écrivain hardcore, qu’il a forcément la nouille excitée dans des endroits glauques, nuls, « clichesques » comme ça. Oublie ces gens, ces propositions pourries de cul simplement parce que tu alignes trois phrases parfois correctes. Du sexe et de la tension dans tes mots. On le sait, de l’envie, des années inassouvies tu as fini par faire de la littérature faible sous tension d’l’envie, la vie, le cerveau jumpé aux hormones de la cuisse bandante, les rythmes dingues, je te répète, cède un peu à la rythmique de l’immobile. Pour une fois. Profite de l’instant. Passe ton index et ton majeur sur le canon clean du flingue à tonton… Oublie que tu l’as volé dans l’armoire à la mort de tata. Sa tête de cire semblait te dire : « T’as été tellement con mon p’tit, tellement nul de penser que tu pouvais rêver une vie “normale”. Tu es fait pour faire chier le monde et te décharner comme ça, sur le charnier littéraire que tu auras mis une vie à créer… ». Elle grimaçait, embellie à la truelle par un thanatopracteur sans doute apprenti, en tout cas aussi génial qu’un phoque élaborant un poiscaille avec Illustrator… L’avantage, c’est qu’elle semblait être une autre, une sorte de cadavre d’australopithèque exposé dans un musée. Oublie un peu ça. Tu ne dois pas gâcher ta vie à cause des morts… Va prendre la gâchette et gave une bille de passant de balles soniques. Tu auras deux secondes le jouir du sang, la gicle jubilatoire de l’esprit qui se fige dans un séisme démentiel… Oublie l’odeur des bières 8/6, concentre-toi sur l’artillerie lourde. Ecris une ultime fois puis jette-toi dans les bras du fait divers… Le Président parlera de toi, dira qu’il faut faire une loi pour que ça ne se reproduise pas. Ton nom circulera et ton livre se vendra. Des sadiques, des curieux, des idolâtres mettront leurs vies dans la boue pour connaître la vie du scribouillard connard qui tua, un matin d’hiver, une greluche dépressive, trompée par son mari, virée économique par une boîte dans laquelle elle a dégueulé toute sa vie…

7h41 : Enfile ta veste noire. Oublie tout. Répète-toi cette fois, une ultime fois que tu vas jouir de la rythmique de l’immobile, l’instant figé, statique, en roue libre. Ecris. Oublie les échecs. Tu as bien profité. Maintenant il faut morfler…

Etrangement je choisis une femme, parce que je la sais faible, trouillarde. Elle n’a pas de style, elle est triste, pathétique, moche, ratée. Avançant molle dans la rue piétonne, aussi lamentable que tous ces gens qui pensent que le travail est l’essentiel, la charpente des vies. Je ne vais pas tirer. Je lève le bras, et tends le canon vers toi lecteur. Je vois dans tes yeux la surprise, mon emprise est telle que tu sens que dans quelques secondes, à la simple lecture de ce putain de texte, tu giras sur le sol, la gueule explosée par une balle, le corps mou, et moi, enfin libéré, à jamais secoué par l’immobile, m’échinant de plaisir sur ton corps inerte, offert, à la merci de mon désir… Je tirerai de nouveau dans la plaie pendant que je pénétrerai, je serai bien, je suis dans toi, tu seras à moi, la moquette, le lino ou le parquet tâchés.

7h39 : Oublie qu’il fait froid, n’enfile que ta veste noire. Ton jean est propre… Brosse encore une fois tes dents, pour virer l’haleine d’alcoolique, les idées criminelles. Détends-toi.

7h38 : Le café brûle mes lèvres. Trois minutes pour torcher mon corps au savon, me sécher m’habiller. Je tiens le temps, je le mets à la vitesse souhaitée. Maîtrise le temps, malgré la migraine, la certitude de puer la bine à cinq mètres à la ronde… J’ai l’arme sur les cuisses, la télé sans le son est allumée sur Télé-Matin qu’on est bien William Leymergie. Tata avait lutté jusqu’au bout contre la maladie, pervertie par l’espoir de vivre encore, vieille, « jusqu’à ma vraie mort commandée », disait-elle.

7h29 : J’efface la phrase d’humeur sur Facebook. Je remplace « Me faites pas caguer les poulets »… par « l’info me fait chier ». J’ai mis France Info, pas de sketch, d’imitateur, de pub, que de l’info, de la météo, des trucs pour aller au boulot… déprimé.

7h10 : Pile, la sonnerie douce de mon Smartphone me réveille… Poker Channel chie encore des parties sur l’écran de l’ordinateur…  Je ne vais pas me lever. Oublie cette journée. Oublie et croupis dans ton lit, tes larmes… Savoure enfin, pour une fois, la rythmique de l’immobile…

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