Les documents qui suivent sont, pour la majeure partie, extraits de la correspondance du soldat de première classe J.I. Hutchinson.
Ils sont reproduits sans la moindre correction. NDLR.
I
Veracruz / Amérique du sud / Le 12 janvier 1957
Père, Mère,
Pour la première fois depuis mon départ, j’ai le temps de vous écrire. Je vous rassure, la guerre n’a pas encore commencé. L’offensive contre l’armée du dictateur Juan Antonio Perez a été repoussée d’une semaine par notre général Walter P O’Sullivan. Selon le sergent Alexander Bloemist, nous lancerons les premières offensives dans une XXXXXXX de jours. J’ai peine à le croire. Bloemist n’a pas l’air d’un gars futé.
Nous patientions dans nos camps respectifs. Les journées sont monotones. Nous nous levons à 06h30, nous entretenons notre condition physique au moyen d’exercices militaires, nous nous lavons dans une rivière à deux kilomètres du Quartier Général, nous mangeons du porridge ou des céréales et nous nettoyons nos fusils. L’après-midi, nous jouons aux cartes, nous lisons des romans d’aventure, nous parlons de nos amoureuses et nous racontons nos rêves avec précision. Vers 18 heures, quand la chaleur est moins torride, nous jouons au football ou au baseball, selon les inspirations des capitaines d’équipe. Je joue souvent dans l’équipe qui perd. Le soir, nous cuisinons au feu de bois. Chaque division est responsable de sa propre intendance. Selon le général O’Sullivan, cette organisation, malgré sa complexité logistique, a le mérite de renforcer les liens.
"Nous gagnerons la guerre contre Perez avec une mentalité solidaire", répète-t-il à la fin de chaque cérémonie religieuse. "L’individualisme mène à la perte".
Le général Walter P O’Sullivan m’inspire confiance et respect. Père et Mère, je peux vous l’assurer, je risquerais sans peine ma peau pour les idées et l’engagement de cet homme. Il incarne l’idéal des libertés d’expression et d’action. Il est une magnifique icône de notre pays. Walter P O’Sullivan est entré à l’âge de dix-huit ans dans l’armée. Il sait depuis sa plus tendre enfance qu’il servirait ainsi le pays. "C’est une vocation", nous a-t-il dit lors de son mot de bienvenu sur le territoire de Veracruz, "il est ancré dans mes veines de défendre l'intérêt des miens".
J’entretiens une relation amicale avec Peter Callabuay, un garçon de mon âge. Peter étudiait l’architecture et l’urbanisme quand le hasard l’a désigné pour combattre l’armée du dictateur Perez. Il n’a pas rejeté ses responsabilités. Brillant étudiant, il retournera à l’université quand cette guerre sera derrière nous, prêt à réintégrer les livres d’histoire et à marquer notre bravoure et notre force du sceau de l’éternel.
Peter a le nez de travers à cause d’une violente chute à vélo. A quinze ans, il ambitionnait de sauter par-dessus une rivière derrière la maison de ses parents. Il construisit un tremplin avec plusieurs planches en bois, dévala à vive allure, monta sur le tremplin et vola plusieurs secondes dans les airs, vers l’autre berge. Un malheureux coup de vent dévia sa trajectoire. Au lieu d’atterrir dans des bottes de foin, il termina son vol dans la façade d’une étable. Résultat du saut : six fractures au nez.
Embrassez bien fort la famille de ma part. Je pense beaucoup à mes frères et à mes sœurs. Travaillent-ils bien à l’école ? Ne sont-ils pas trop difficiles avec vous ?
Père et Mère, vous méritez du repos et de longues vacances.
Je vous embrasse,
Bien à vous,
Votre ainé,
John.
Veracruz / Amérique du sud / Le 19 janvier 1971
Père, Mère,
Une longue pause me permet de vous écrire. Nous attendons toujours le signal du général Walter P O’Sullivan pour lancer une offensive sur les troupes du dictateur Perez. Juan Antonio Perez est un barbare sanguinaire d’une quarantaine d’années. Il porte une fine moustache, a des yeux noirs, de petites oreilles et un béret sur des cheveux mi-longs. Sa photographie est collée un peu partout dans nos camps : sur les tentes, les portières des jeeps et les cibles de nos jeux de fléchettes. Certains soldats l’utilisent pour nettoyer leur affaire. En-dessous de sa photographie est noté : "Si vous le croisez, tuez-le. Vous serez un héros !"
Selon la légende, Perez mange des araignées et des scorpions sur des tartines au beurre le matin, de la cervelle de chien avec une sauce aux piments rouges le midi et des yeux de poisson d’eau douce avec un gratin de pissenlits au fromage le soir. Perez arrose tous ses repas d’un alcool blanc à 55% et fume des cigares longs comme l’automobile de père pour favoriser la digestion. Perez est surtout une crapule de la pire espèce. Il mène un génocide contre les indiens depuis plus d’une décennie, viole les femmes des campagnes, torture les maris quand ces derniers lui résistent, vend les enfants dans des marchés à esclaves, vole les riches et exploite les pauvres. Beaucoup d’hommes préfèrent le suivre et gonfler ses rangs au lieu de crever comme des malpropres au fond d’une cave ou au bord d’une route. Notre combat contre Perez est un appel international à la démocratie.
Peter Callabuay m’apprend quelques règles élémentaires du poker. Il pointe son enseignement sur la maitrise du bluff, atout majeur pour battre le jeu adverse. Vous méprisez les jeux de hasard, j'en suis conscient. C’est selon vous un chemin trop facile pour gagner de l’argent mais surtout pour en perdre. Peter est toujours d’humeur joyeuse malgré nos conditions d’hygiène précaires, notre inaction militaire et l’épouvantable chaleur. Il est prévu d’attaquer Perez entre le 27 et le 30 janvier. Nos entrainements sont réduits à des exercices physiques dans les courants puissants d’une rivière (Rio Martino) ou à travers une forêt sombre et sauvage. Dans un souci d’économie des munitions, il nous est interdit d’utiliser nos armes. Je m’entraîne à tirer à blanc sur des animaux pour me donner l’illusion de ne pas perdre la main et encore moins l’œil.
Les conditions météorologiques pourrissent notre quotidien. Nous transpirons à longueur de journée. Les insolations sont nombreuses. Le vent est faible et quand il souffle, il est chaud. Au début de chaque après-midi, il nous est difficile de respirer. La chaleur est cruelle pour nous mais aussi pour nos aliments. Nous n’avons pas de système de refroidissement électrique. La nourriture est souvent avariée quand nous la mangeons. La plupart d’entre nous vomissent deux à trois fois par jour. Les diarrhées sont fréquentes. De violentes migraines frappent huit soldats sur dix au sein de chaque division. Pour l’instant, Dieu m’en préserve, je ne suis pas souvent malade.
Depuis quelques jours, un jaguar tourne autour de notre camp. C’est un animal impressionnant, d’une virilité extrême et d’une souveraine élégance. Il nous observe et garde ses distances. Je l’ai baptisé Seigneur. Il est beau et mystérieux comme notre Père Spirituel. Chaque jour, après deux heures d’observation, il nous tourne le dos et retourne dans la forêt. Le lendemain, il revient à midi pile, comme s’il portait une montre à son bras.
Embrassez bien fort la famille de ma part. Vous me manquez beaucoup. Chaque lettre de votre part est un véritable plaisir de lecture et de réconfort.
Dites à Freddy Stomaire et Paul Hugon que je pense bien à eux.
Je prie pour vous.
Bien à vous,
Votre ainé, John.
Veracruz / Amérique du sud / Le 24 janvier 1985
Papa, Maman, Camilla, Roy, Jack et Astrid !
Selon nos sources, Perez a recruté mille hommes supplémentaires. Le dictateur connaît à présent les intentions du général O’Sullivan. Il prépare sa défense. Quant à notre célèbre général, malgré ses hésitations offensives, il reçoit toujours un vif soutien moral et financier de la part de notre gouvernement et de notre Président en particulier. Il est nécessaire pour notre nation de débusquer Perez, d’installer un chef d’état en accord avec notre idéal politique à la tête de ce pays d’Amérique du sud et d’entretenir des relations stables avec lui. Le sol de cette région est riche d’importantes ressources naturelles (gaz, pétrole, uranium).
L’immobilisme nous ennuie. Nous répétons tous les matins les mêmes exercices physiques et nous mangeons seulement des biscuits secs pour éviter de maltraiter nos estomacs et nos intestins. Tous les soirs, je joue aux cartes avec Peter. Il rêvait d’une autre guerre. Seule l’action le motive. Pour se distraire, il monte aux arbres de la forêt, attache des cordes autour des troncs et saute d’arbre en arbre à la manière de Tarzan. Le sergent Alexander Bloemist l’a réprimandé plusieurs fois.
Nous ne savons pas pourquoi O’Sullivan attend pour attaquer. Malgré nos longues périodes d’ennui sous une accablante chaleur, notre devoir est de respecter les décisions des plus hautes instances de notre armée.
Je me permets de vous envoyer un croquis de Seigneur, mon ami le jaguar. J’espère que le dessin vous plaira. Pendant que je dessinais, il était en train d’imiter un acteur américain qui interprète des rôles de caïd ou de crapule. Seriez-vous capable de le reconnaître ?
Merci pour votre colis. Le Coca-Cola était chaud et le chocolat fondu.
Je vous embrasse,
John.
de J.I. Hutchinson < johnisaachutchinson@hotmail.com >
à Bob-Hutchinson@wpep.com ; Anna-Hutchinson@mm.aa.com ; Roy-the-Boy@yahoo.com ; SuperCam@hotmail.com ; Jack007@hotmail.com ; PrincesseAstrid@hotmail.com ; FredStom@wanadoo.com ; TheBest@hotmail.com ; TatyYoYo@yahoo.com ; BennyHutch@wanadoo.com ; MonicaBella@yahoo.com ; MattewJonhson@dsx.bb.com ; FrifriBaba@yahoo.com ; AlouetteCool@yahoo.com ; SiSiIII@yahoo.com
Date 02 février 1999 22h43
Objet : Nouvelles de Veracruz
Salut à tous et à toutes !
Plaisir immense de vous écrire !
Je peux écrire des e-mails grâce à nos brouilleurs internes. Ce système génial empêche l’ennemi de pouvoir nous localiser. La technologie est une arme.
Il fait chaud et humide. Nous transpirons beaucoup. Nos vêtements collent à notre peau. C’est la galère !
Le général O’Sullivan nous motive lors de la messe.
Je m’occupe de couper les quartiers d’orange à la mi-temps de nos rencontres de football ou de base-ball.
Seigneur va bien. Il vient nous saluer tous les jours. Il me fait toujours penser à un acteur américain. Jusqu'à maintenant, aucun d’entre vous n’a été capable de le reconnaître. Considérez la vidéo suivante comme un nouvel indice. http://www.youtube.com/watch?v=x_4lXncUTk4
Je zappe toute la saison de basket. Envoyez-moi les résultats dans vos prochains e-mails. Droit seulement à dix minutes d’internet tous les 3 jours. Connexion au réseau assez lente.
J’vous embrasse,
John.
de J.I. Hutchinson < johnisaachutchinson@hotmail.com >
à Groupe Famille 1 – Groupe Famille 2 – Groupe Amis – Groupe Université
date 04 février 2005 23h05
Objet : Préparation Veracruz Amérique du Sud
Yep !
Tension monte. Le conseiller de guerre d’O’Sullivan nous a rafraichi la mémoire sur notre déploiement ofensif et nous a distillés des conseils de base !
Mon arme est prete et moi aussi !
A force d’inactivité, nous puons la rouille.
Encore très chaud aujourdhui.
J’ai envie d’un bon repas et d’une bière bien fraiche !
Seigneur ne vient plus. J’espère que rien de grave lui est arrivé.
Vive le Celtic de Baltimore !
John
A : 0455 747 354 ; 0455 234 474 ; 0455 467 536 ; 0456 231 243 ; 0456 939 354 ; 0455 987 354 ; 0455 345 956 ; 0456 243 764 ; 0457 776 342 ; 0456 342 857 ; 0457 342 367 ; 034 035 376 378 ; 0455 243 948 ; 00 32 635 387 398 ; 0457 354 918 ; 0456 210 700 ; 0456 123 987 ; 04 873 376 098 ; 0457 987 123 ; 0456 764 666 ; 0458 242 001 ; 0455 231 354
Veracruz / Amérique du sud / Le 03 février 2007 / 07h15
Yep ! Peut envoyer des sms ! Grâc à ns Brouilleur ! 1Terdi de tel ! Chô ici ! PRez a peur de ns ! Peter a perdu au poker IR ! mais ou e Ségneur ?Pense bien à vs ! Kiss ! J
A : groupe sms 1 + famille
Veracruz / Amérique du sud / Le 06 février 2008 / 07H17
Yeééép ! O’Sul ns motiv ! 1spect° dè arms IR ! Bon sign ! J’crois ke sé pr bi1to ! J’espèr ! Peter a peur de rien ! Encouragé moi de tt votre keur ! Kiss ! J
A : groupe sms 1 + famille
Veracruz / Amérique du sud / Le 07 février 2009 / 07h19
Yep ! Sui con100tré ! Attack 2main ?! O’Sul la confirmé ! PRez va mourir ! IR Peter a perdu ses munitions au Poker ! Il a juré de se battre au couteau ! Quel fou ! Ségneur a 10sparu. Suis triste ! Je par le cherché. 100lui, ns perdrons la Guer ! des Kisses
Youtube, le 10 février 2009 à 16h45
Mort d’un soldat américain dans un accident de voiture.
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6.432 personnes aiment.
IV
Newton D.C
Le 16 février 2009
Madame, Monsieur,
Par la présente, je vous annonce le décès du soldat Première classe John Isaac Hutchinson, né à Baltimore et mort à Veracruz, le 9 février 2009.
Pris dans une embuscade menée par le fils de Juan Antonio Perez au lendemain de la capitulation de son père, le soldat John Isaac Hutchinson est décédé de plusieurs balles dans la tête.
Le soldat John Isaac Hutchinson recevra la médaille du mérite d’honneur pour services rendus à la Patrie. La Nation n’oubliera jamais son patriotisme et son héroïsme au combat. Il a été brave et courageux. Le corps du soldat Première classe John Isaac Hutchinson sera rapatrié à Baltimore et vous sera livré endéans les six jours.
Je vous prie, Madame, Monsieur, de croire en l’expression de mes sentiments les plus distingués.
Suzanne Margareth Parker
Secrétaire du général Walter P O’Sullivan
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