Frederic Bourgeois : Puglia, IT

Ce texte fait partie de la série #ECRITURESNUMERIQUES


 

Puglia, IT
Septembre 2007 - Mars 2012

 

 


 

 

 







pour a.

nous n'aurons
jamais
assez d'envies






 

 

 





 

Salento---




NardòComune d’Europa. « Vieni qua! » « No! » La voix a autant de jeunesse que d’assurance. Je n’ai vu personne. Je me gare. La place. Réunion d’hommes, mains aux hanches, dans les poches. Souvent, la cigarette. La tête ailleurs. Un vieil édenté me parle. « Non capisco. » Il répète. Trois fois. « Non capisco, sono da Belgio. » Il part. Le chien reste. Je ne pense pas que ce soit le sien. Il me regarde, se laisse caresser. Je pars. Il suit. De place en place. Puis s’arrête. C’est la passeggiata. Je me perds. Le dédale apulien, innocent, éternel. 

Je retrouve la voiture après un quart d’heure.



Aradeo - Une fête fait la déviation. Je passe mon chemin.




Noha – Tout, dans ce Sud, appelle l’Amérique. La petite, des enseignes au néon et des maisons plates. Cinecittà n’est pas loin.

Les chiens courent les rues d’un corps fatigué.




GalatinaCittà d’Arte. Première œuvre : un nonno, qui trace l’origine du baroque jusque dans l’horreur de son nez. Le baroque aussi dans ces milliers d’oiseaux aux palmiers. 

Piazza San Pietro. Santi Pietro e Paolo retient les derniers rayons sur les pierres. Il est presque 19 heures, dimanche 23 septembre. La mamma, ici, est une institution. C’est là un des paradoxes italiens, de préférer les mannequins et vénérer la mamma en priant de n’en jamais marier une.




Copertino – La dentelle aux bâtiments.

Des rues où les trottoirs, quand ils existent, sont faits pour les sourds.




Leuca - Village mort au bout du terrain. Et à nouveau, en haut, la croix racée. La place est blanche à perte de pas. J’achète un papier pour bénir ma grand-mère. Et la mer est partout qui cerne l’Eglise, lui rappelle que son Afrique n’est pas loin, qui lui envoie du peuple pour les florentines et romaines.





Marina di Novaglie - Sentiment de bout du monde. Mer infinie et spaghetti frutti di mare. Un Allemand tatoué entre et tout le monde parle allemand. Tout le monde se lève aussi pour voir les pesci au loin. Je ne vois rien, sinon des vagues.




Otranto - Enième espressino au pied des murs.




Castrignano de’ Greci – Partout, les maisons fuient une lumière aveuglante. Les Italiens en développent des yeux de chat, mais partout, ce sont les cani qui règnent. Partout, aussi, le surréalisme italien dans ces rues qui flottent au milieu d’un nom trop large. 

Et des rues labyrinthe, au centre introuvable. C’est toujours, plus ou moins, par là.




Route de San Cesario di Lecce – Un berger allemand mort, sur le bas-côté.




Route de Mesagne – Parfois, une pie saute son vol, puis pique l’autre côté du chemin. Parfois, un portail grand comme la campagne, un chemin, puis plus rien. Comme si l’Italien avait dit « On commence par le portail et puis on voit ce qu’il reste pour la maison. »




Mesagne – La ville se distingue des autres par son absence de chiens. Ici, deux chats. Les rues sont vides à l’ora di pranzo, habitées seulement par la voix perdue d’une télévision oubliée. Des bâtiments chiriciens, aux charmes oubliés par les ans. 

Il cuore della città.




Lecce – Les nuages se lèvent vaguement. Le sol est encore humide, mais ça reste l’Italie. Un clochard sur un banc, une fille colle des affiches. Des bâtiments en réflexion. Et tout un peuple qui enferme ses saints et vierges pour les mieux adorer. Ici, une fausse flamme, là, un néon. Partout des grilles, emmurées, encadrées, montrées ou cachées, ces icônes abandonnées au bon vouloir de qui y lèvera les yeux et, toujours, une lueur aux pieds. Les jeunes, ici comme ailleurs, préfèrent les contrastes froids. Des pierres ocre à la terre rouge, ils retiennent le noir du vêtement, pendant que les anciens se réunissent aux locaux politiques. 


Et des villes aux allures de village au milieu de villages aux allures de ville. Les mesures n’ont plus raison d’être. L’immense côtoie le détail et la folie artistique semble se noyer dans un Calcio tout puissant et la mode éternelle de l’élégance italienne.



Une lumière crue pour un peuple pieu.





 

 

 




 

Murge / Terra di Bari---




Un pays pour croire qu'il y a quelque chose, c'est toujours plus qu'un pays. C'est toujours un peu plus qu'un bout de terre où on me dit : tu attaches ton chien ici, tu élèves ta vache là-bas. C'est un pays où les aliments de base s'imprègnent de tant de soleil qu’ils s’en oublient dans la gorge. Un pays où on finit par croire qu'il y a quelque chose en plus, on ne sait pas quoi, mais quelque chose en plus.


Dans un pays comme celui-là, on ne fait jamais de rencontre par hasard. On se croise de paroles. Mais il ne peut pas y avoir de coïncidence. Quand Mario arrive vers moi, il est peut-être midi, ou une heure. Le soleil est haut, les immeubles aussi. Mario, c’est Bari. Et Bari, c’est Mario. Le tout dans un concentré d’Italie qu’on ne retrouve nulle part ailleurs en Italie, sauf à Bari.


Bari

Façades pastel mangées de soleil.

Les oursins dans les assiettes, le samedi, et les poulpes qu’on veut voir battre malgré les réticences et qu’au final, on ne voit pas, mais qu’on goûte un peu plus loin, dans les spaghetti.

Le dimanche, lasagna et l’anniversaire à Mario. Tutta la famiglia, à poser des questions et rire autour des enfants et des animaux qui ne parlent pas la même langue. 

Le patate riso e cozze. Le fromage croûté sur les moules.

La terrasse chez Osvaldo et un livre de voyage. La librairie, le lendemain, qui ne renferme que Nothomb. Malheur à toi qui veux du belge.

Trani, cathédrale, et l’hypogée de San Leucio. Les combes obscures allumées au flash de l’appareil à touriste. Le soleil qui s’en va, le fort qui surveille. La terrasse. La mer.

Les livres dans la tête. Montale dans la librairie, dans la main, toujours pas dans la tête. Montale ? Pourquoi Montale ? Sous les rires, les gens trouvent ça un po triste. Je l’achète.

Le capuccino et la macchinetta per fare il caffè. La vouloir, savoir qu’on va l’avoir et oublier de s’arrêter au supermarché. Profiter des espressini, de la mousse, des papiers de sucre.

Castel del Monte, l’autobus pour y monter, le chien qui accompagne la descente, le voyage en voiture et les conversations de la langue. Les amis tout autour.

La nuit blanche et Nunzo arrive pour parler histoire, Castel del Monte. Repart pour maladie. Les théories sur Frédéric II, les documentaires de la BBC et Angkor Kan. C’est la fête dehors, il ne fait pas froid et Arbore fait danser les bas résilles.

De l’autre côté du podium, les orechiette sur les tamis des vieilles dans les venelles tortueuses où les femmes, jeunes ou vieilles, sont plus dangereuses que les hommes. Où les pavés noirs se distinguent des jaunes et seuls les juifs comprendront.


Castel del Monte qu’il n’a jamais vu avant moi. Le soleil qui s’en va.

La tête qui tourne encore et le soleil toujours, dans les rétines et plus loin dans la tête.

Chez Mario, l’air conditionné a trente ans et tourne toujours, quand on pensait qu’il ne tiendrait pas deux ans. On rigole de l’étranger qui le prend en photo.

La machine à compter, le bureau du papa.

Les pneus qu’on change. La boulangerie à côté.

La mobylette à Trani, les photographies à deux. 

Les vespas à Bari, la Mini sous cape.

Les voyages en ascenseur, vertige aux neuf étages.


Les trois portables sans confusion. Les insultes au volant, la conduite à une main. Sport national, personne ne lâche l’autre, du téléphone, des cheveux, de la copine, des lunettes.

Les marches sur la mer, le retour en voiture, le klaxon, les feux rouges, le marché et les biscuits salés qu’on mange dans la voiture à la recherche des oursins.

Les filles. Les garçons. 

Les filles. Les garçons. 

Et puis, surtout, Bari.




 

 

 




 

Gargano---



San Giovanni Rotondo ne ressemble pas à grand chose. Ville calme et provinciale, perdue dans les montagnes du nord, à quelques kilomètres de la grotte où Marie s’est vue. À moins que ce ne fût un autre. La ville est calme jusqu’à l’illumination. La pacification d’architecture, contrastée par l’apparition d’un Pio futuriste, au milieu d’une Italie suant le suranné. Un monument grand comme la foi des pèlerins qui viennent déverser leurs deniers dans des chapelets de plastique et faire la file devant les confessionnaux. Le tout charpenté par le souffle divin soulevant aubes et chapeaux sur le parvis dégarni. 


San Giovanni, ville du bout des routes. Un peu plus tôt, ce sont les cliquetis d’autocars, tournicotant sur les chemins italiens qui relient un sanctuaire à l’autre. Parce qu’un peu plus loin, jeté haut la mer, c’est Monte Sant’Angelo. Entre touristes et saucissons. Négligeant nonchalamment Manfredonia. Le beau Mont et son église dans la roche. Ses escaliers à casser le dos des vieilles à cannes. Ses rues pavées et boutiques un peu moins grenouilles, mais à l’odeur de bénitiers toujours un peu forte. 


Ce Gargano, décidément, dans son cœur, foi odeur de feu. Et de bois. Et de chiens ravagés.


Au Nord, une paire d’yeux doux sur ce boisement nasal. Au bord d’un œil, un pore asséché, oubli de ‘40, plat comme le ciel sans nuage. Une ville en noir et blanc dont le nom effacé flotte comme un drapeau. L’eau frissonne sous le vent et je repense à celle de Gaudé, quelques kilomètres plus tôt. Les gouttes fâchées, mortes aux trabucchi qui ne rapporte plus rien sinon de vieux souvenirs et un touriste égaré. Au temps cédé sur des plages coincées entre mer et rail, une famille d’Allemands et un Belge en cavale. La côte Nord oublie les froissements sombres des soutanes ; on en a vu périr pour moins que ça.


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