… Quatre, cinquième dalle à gauche en partant du lampadaire. Voilà, je serai le premier dedans.
Tiens, en parlant du loup ! Ouverture des portes. Je m’engouffre. Une place inoccupée, aucune chevelure grisonnante, pas de femme enceinte, ce siège m’appartient. Vive le Roi !
Profonde inspiration. Alors, la recette du jour : transpiration, déodorant bon marché diffusant encore un peu plus cet effluve d’aisselle moite, café bouilli, crème de jour et haleines fétides.
Alarme, fermeture synchronisée des portes et en avant Guingamp !
Source sonore à 01h00 : « J’ai entendu dire que les pensionnés pouvaient travailler un certain nombre d’heures par mois. J’ai demandé si ça changeait quelque chose au niveau de mon ancienneté. De toute façon, mon mi-temps, je n’y ai plus droit puisque j’étais malade. » Et blablabli et blablabla…
Décélération, freinages maladroits, arrêt, ouverture des portes, dix personnes descendent, douze autres montent. Quel est l’âge du conducteur ? On est reparti. Un coup d’œil vers l’extérieur. Les devantures défilent et rivalisent d’ennui : ING, Casa do Brasil, Berlitz, KBC… J’ai la nausée.
Un quidam sur ma gauche « D’habitude je descends à cet arrêt. On a pris le tram à quelle heure ? Au final on met combien de temps en voiture ? » Et patati et patata
Ouverture des portes, alarme, fermeture des portes, bouffée d’air frais, on redémarre, ça tangue. Tous les voyageurs suivent les mêmes mouvements cadencés embarqués dans une danse désinvolte. Un petit rythme de salsa en arrière-fond et ça nous ferait un beau petit flash mob. Je suis con ou je suis con ? Un gsm sonne. Pas de réponse. Il sonne à nouveau.
Discrète observation circulaire : quelques privilégiés lisent un bouquin ou un journal pendant que le reste des passagers défend vaillamment son espace vital.
À 04h00, une dame fait sa liste de courses : jambon, citron, parmesan… Ça sent bon l’été !
Juste en face de moi, deux étudiants : « Tous les trois on se le choppe. Ce qui me fait trop chier, c’est d’aller à la proclamation samedi. Raté, raté, raté. Quand tu passes devant lui, tu perds trop vite tes moyens. On a eu la même chose tous les deux. Je ne savais pas lui parler, je ne trouvais pas mes mots. Bon, on arrête de parler de ça parce que je pète un câble. T’imagines si on recroise ce mec ? On le prend, on le met dans un coffre puis on va dans la forêt, on le tabasse puis on le jette dans le canal, fils de chien. »
À côté d’eux, un père et ses deux enfants : « Ça, c’est à moi et ça c’est à toi. Pourquoi ? Parce que j’ai envie ! Du calme les enfants. »
À 08h00, une femme en pleine conversation téléphonique : « Elles m’ont dit : tu vas souffrir ! Moi j’étais contente de mon rapport mais on ne sait jamais, tu vois. Déjà le premier jour, si ça ne va pas, ça n’ira jamais. » Et gnagnagni et gnagnagna...
BNP, Natural Café, Rouge Tomate, Man Power, Bio Store…
Deux autres ados reliés au même MP3 : « Ça me donne envie de gerber, de la taper. Ça, c’est de la musique. Ça va trop fort. Quelle musique de merde. C’est pas de ma faute si tu n’aimes pas le hip-hop. »
Burma, Olivier Grant, Bruphils, Mer du Nord, Peak Performance, Prout ma chère…
Autre conversation téléphonique avec une personne manifestement sourde et rivalisant avec la donzelle à 08h00 toujours occupée à s’épancher sur ses déboires professionnels : « Avant de sortir du rond-point, tu vas prendre la deuxième à droite. Allo ? Oui, ils vont te demander les grands phares, ceux quand il fait tout noir. Et il y a aussi les petits phares au milieu tout en bas, tu vois ? Allo ? Oui et tu dois tenir le volant en position 10h10. Et il va aussi t’interroger sur les feux de signalement. Allo ? »
Grésillements amplifiés dans le micro : « Louise terminus, Louiza uitpunt ! » Ouverture des portes. Les plus anxieux, agglutinés devant les portes, se ruent sur le trottoir comme un jour de débarquement. Je range mon stylo et mon calepin ; je m’apprête à sortir quand ce type me scrute d’un regard froid en terminant son croquis.
Tel est pris qui croyait prendre !